Le filament PLA français

Les initiatives industrielles et les innovations viennent rarement des grosses entreprises. En effet, ces dernières ont beau avoir des services de R&D développés et fort couteux, elles « innovent » en copiant ou en rachetant des startups ou des entreprises créées par des vrais entrepreneurs, ceux qui prennent des risques.

Christophe Courché, concepteur de Filo3D, fabricant français de filament PLA, fait partie de ces gens, courageux, persévérants, la tête sur les épaules mais pourvu de cette dose d’inconscience qui permet aux audacieux de réaliser leur rêves.

filo3d

Malgré un emploi du temps très chargé, Christophe s’est gentiment et courageusement soumis à nos questions indiscrètes.

3Dprint4Ever: Christophe,  racontez nous votre parcours.

J’essayerais d’être bref…

Du côté professionnel, je navigue dans les métiers de l’informatique… depuis 20 ans (déjà… ).

Côté personnel, je suis passionné de d’aéromodélisme depuis petit, merci à mon père d’avoir encouragé et partagé cette passion.

C’est cette passion (aéromodélisme) qui m’a amené à m’intéresser à beaucoup de sujets connexes comme la construction, la conception, l’électronique et les machines à commandes numériques comme la découpe fil chaud, fraisage et finalement l’impression 3D !

3Dprint4Ever: Vous avez choisi de produire du filament PLA en France, une gageure, un défi particulièrement retors tant la réticence des industriels français de sortir de l’ordinaire est grande. A ma connaissance, il n’y a pas de producteur de granulés de PLA en France. Est-ce la raison pour laquelle vous utilisez l’excellent PLA de Ingeo Natureworks?

Je confirme, je n’ai pas trouvé de producteur de pellets PLA en France et en Europe.

Il existe des sociétés qui peuvent créer des « mélanges » de différentes matières premières sur mesure, mais pas de producteurs.

Les deux zones de productions du PLA semblent être les US et l’Asie.

J’ai testé plusieurs PLA, c’est le Natureworks 4032D qui a donné les meilleurs résultats à la fois lors du processus d’extrusion industriel et lors de l’extrusion sur nos « imprimantes ».

3Dprint4Ever: Ribouldingue, veux-tu nous préparer un café?… Non, pas dans ton pot de chambre imprimé en 3D… Oui, il est très joli mais le café laisse des tâches, je ne voudrais pas que nous abîmions ton chef-d’oeuvre.

3Dprint4Ever: Christophe, nous avons eu l’occasion d’interroger un producteur français d’ABS qui nous disait combien il avait été difficile de trouver un partenaire industriel français compétent. Fut-il difficile de trouver le votre? Comment s’est déroulé votre partenariat?

J’ai contacté beaucoup d’extrudeurs Français, essayé de convaincre, j’ai essuyé pas mal de refus, mais je n’ai pas renoncé.

Mon idée était de mettre en place un accord initial « gagnant/gagnant’, c’est-à-dire d’obtenir un essai d’extrusion de jonc de mon côté et proposer à l’extrudeur d’utiliser un nouveau plastique, car dans 95 % des cas, le nom « PLA » était à peine connu et les extrudeurs, avec lesquels j’ai dialogué, n’en avaient jamais utilisé !

Ensuite, ont commencé les essais d’extrusions et le début des désillusions… je pensais pourtant avoir un cahier des charges « classique », mais ma demande était semble-t-il très difficile à obtenir (surtout pour le 1.75 mm).

Sans refaire tout l’historique, j’ai dû reprendre les recherches d’extrudeurs plusieurs fois, certains extrudeurs n’ont jamais pu sortir un jonc dont la qualité correspondait à mes attentes, d’autres tenaient les « cotes » mais avec une vitesse d’extrusion très faible, les temps machines s’envolaient augmentant un coût horaire déjà déraisonnable, d’autres ont baissé les bras.

Il m’a fallu plus de 2 ans de recherches, essais et un investissement non négligeable pour trouver l’extrudeur qui a pu répondre à toutes mes attentes.

Ce n’est qu’une petite partie des difficultés que j’ai rencontrées pour obtenir le filament Filo3D actuel, l’extrusion est un processus finalement complexe et coûteux.

3Dprint4Ever: Vous évoquez sur votre site votre volonté de produire un filament de grande qualité. Comment avez-vous résolu la problématique de la régularité diamètre du fil, si importante pour obtenir un débit homogène?

A mon avis, le plus important c’est la maîtrise du processus d’extrusion qui permet d’obtenir la régularité du diamètre, la qualité de l’extrusion (pas de bulles d’air, pas d’éléments infondus), l’opacité du jonc, respect de la couleur, etc.

En amont, c’est la matière première et sa préparation qui doit être irréprochable.

L’extrusion est un métier qui, vu de l’extérieur, peut paraître simple, mais c’est tout le contraire, le « savoir faire » étant le catalyseur final.

3Dprint4Ever: Vous avez choisi de distribuer votre filament sans bobine, sous forme de « couronne » selon vos termes. J’en comprends fort bien les raisons: mais ce choix n’est-il pas cependant un frein à une distribution plus large de vos produits?

Je propose depuis début août une bobine rechargeable, je l’ai conçue la plus générique possible et bien entendu parfaitement adaptée au diamètre d’enroulement du Filo3D, diamètre qui peut paraître atypique mais qui ne doit rien au hasard…

Ce « kit bobine » est offert à la première commande, j’espère que le « blocage » de la bobine est donc passé.

Prochainement, je donnerais aussi le plan d’un support pour utiliser la bobine sur des imprimantes qui n’ont pas de support dédié.

Ce n’est pas nouveau, il y a des tonnes de schéma, bricolages ou autres pour des supports, mais, là encore, j’espère apporter un élément « facilitateur ».

La bobine fournie, présentée ici avec son support
La bobine fournie, présentée ici avec son support

3Dprint4Ever: Votre filament PLA commence à se tailler une excellente réputation chez les « makers » cependant tout le monde s’accorde à dire que les prix sont assez élevés. Pourriez-vous nous dire comment se traduit, en pratique, cette qualité sur une impression?

Heureux de lire que Filo3D a bonne réputation.

Le prix… J’en profite de la petite porte ouverte pour en parler…

J’aimerais vraiment pouvoir proposer le Filo3D au prix d’un filament chinois, tous mes clients en seraient ravis et il serait diffusé au plus grand nombre.

Mais c’est tout simplement impossible, le coût de l’extrusion est très important, le minimum de démarrage (on parle en tonnes) aussi.

L’extrusion est (vraiment) réalisée en France, nous connaissons toutes les charges importantes derrière chaque entreprise française.

La matière première est aussi plus coûteuse car moins généralisée que  l’ABS, je ne parle pas non plus des prix des pigments (Masterbach) réalisés par des coloristes (les couleurs Filo3D sont toutes originales).

Je lis beaucoup de choses un peu « folles » sur les forums, comme le coût du Kg de pellets à 2 € par ex (merci de me communiquer l’adresse du fournisseur !), étant maintenant bien immergé dans le domaine de l’extrusion, le coût du pellet baisse avec la quantité commandée soit, mais pour que le prix passe sous la barre des 4 € HT le Kg de PLA par ex, il faut commander minimum 750 Kg !

Bout à bout, le prix « sorti d’extrusion » est important sachant que je ne compte pas le temps passé pour réaliser les couronnes (je les fabrique une par une manuellement…), le packaging et autre par exemple !

Le prix de vente actuel est vraiment le plus bas que je puisse proposer aujourd’hui, j’espère que cela pourra évoluer dans le futur, ce qui peut faire la différence est la massification de la production.

Pour en revenir à votre question initiale, la qualité d’impression est liée à de multiples facteurs.

La qualité du filament est bien entendu au cœur du processus, mais la buse, la régulation de la température, la rigidité de l’imprimante et son réglage font toute la différence sur la pièce finale.

C’est l’ensemble de ces petites choses qui, au final, impacte grandement le rendu et la qualité de l’impression.

Quelques exemples d'impressions réalisées avec du PLA Filo3D
Quelques exemples d’impressions réalisées avec du PLA Filo3D

3Dprint4Ever: J’aimerais ajouter à mes articles et entretiens une petite dose d’économie et de gestion d’entreprise car j’ai le sentiment qu’en ce moment, énormément de gens se lancent dans l’aventure entrepreneuriale de l’impression 3D, la tête baissée, sans expérience de l’entreprise et les désillusions promettent d’être dramatiques. Auriez-vous quelques conseils, quelques mises en garde à donner aux futurs entrepreneurs en herbe?

Je vois aussi un nombre important d’entreprises créés dans le domaine de l’impression 3D, il n’y a pas une semaine sans l’annonce d’une nouvelle boutique en ligne, un 3d print hub, etc.

Je pense que comme tout nouvel « eldorado », il y aura une stabilisation de toutes ces activités commerciales, il ne restera à mon avis que quelques grosses structures et un éco système d’entreprises qui propose des produits novateurs et/ou services différenciants.

Seules les entreprises qui auront pu tenir, évoluer et innover seront encore présentes à moyen / long terme.
J’espère pouvoir tenir et continuer à avancer pour être encore là demain !

J’encourage les « jeunes » à se lancer dans l’aventure entrepreneuriale, c’est une aventure difficile mais passionnante. Il faut être motivé, passionné (même si la passion n’est pas toujours bonne conseillère) et tenace.
J’aimerais être jeune aujourd’hui 😉
Ces dernières années, il est (à mon avis) plus « simple » d’entreprendre, de tester une idée ou un marché, il ne faut pas hésiter à se rapprocher des CCI, régions et autres organismes qui peuvent aider avant, pendant et après la création de l’entreprise.

3Dprint4Ever: Christophe, un grand merci pour cet entretien passionnant.